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écriture

  • Les esseulés

     

    celeb1.JPGMa bonne amie,

    On me rapporte que vous souffrez d’un mauvais refroidissement qui vous tiendrait alitée depuis la semaine dernière. Vous savez la confiance que je porte en ces gens de la Faculté ; ces doctes personnes font parfois plus de mal que de bien et je veux croire que celles de votre entourage connaissent leur affaire mieux que ce Diafoirus de Molière. Quoiqu’il en soit, vous trouverez avec ce petit billet quelques douceurs qui ne vous guériront peut-être pas, mais qui n’aggraveront pas non plus votre santé, je m’y engage.

    Pour vous distraire, laissez-moi vous conter une visite que je fis à de lointains cousins lors de mon exil en ma campagne bourguignonne. Ce ne fut pas une journée très gaie. Nous étions à la fin de l’été et le ciel était lourd et bas, annonçant un de ces orages secs comme on en voit souvent dans cette partie de notre beau pays. C’était un de ces jours où j’aimerais savoir peindre pour immortaliser la lumière si particulière dans laquelle baignait le paysage. Le gris des cieux vous éblouissait le regard tant il était éclatant et aussi loin que vous regardiez, vous aviez des silhouettes d’arbres, de vignes, de bosquets et de collines qui se détachaient si nettement à l’horizon qu’on les aurait cru découpées aux ciseaux. Il régnait une touffeur accablante qui me rendait insupportables tous ces jupons que la mode nous impose et dont je rêve de me débarrasser tant ils sont malcommodes pour la vie à la campagne.

    A la demande de l’un de leurs enfants, je m’étais donc engagée à aller visiter Monsieur et Madame de la M*** qui possèdent un petit château non loin de mes terres. En arrivant là-bas, je fus frappée par la tristesse infinie qui se dégageait de l’endroit. Non que l’architecture de la maison fût austère. C’est au contraire une belle demeure typiquement bourguignonne : un corps principal flanqué de deux tours, des toits de tuiles vernissées et cette pierre très légèrement rosée ainsi qu’il s’en trouve parfois dans cette partie sud de la Bourgogne comme une sorte d’avant-garde provençale. Une vigne vierge entremêlée de glycine habillait magnifiquement la façade, le perron s’ouvrait sur une allée de platanes fraîchement taillés et l’on devinait, dès l’abord, un jardin à la française dont les buis aux formes travaillées et les quatre carrés aux pelouses verdoyantes recevaient certainement tous les égards du jardinier. Un ravissement pour les yeux, en somme. Pourtant, de ce tableau si parfait, il ne ressortait que tristesse et accablement. Je ne savais plus en entrant dans la maison si l’oppression qui gagnait ma poitrine venait de la lourdeur du temps, de mon corset trop serré ou bien de l’atmosphère qui se dégageait de ce lieu.

    Cette étrange impression ne me quitta pas et s’accrut même pendant le moment où l’on me fit attendre dans un petit salon l'arrivée de Monsieur et Madame de la M***, retenus par leur vigneron. Une fois encore, ce décalage entre l’aspect chaleureux et accueillant de ce boudoir et ce que je percevais me frappa. Tout dans cette pièce invitait au délassement : des bergères confortables, un épais tapis venu de la lointaine perse, des tentures superbes aux couleurs chatoyantes, quelques livres posés sur le marbre d’une commode et, de ci, de là, des figurines de porcelaine biscuit… Je n’osais cependant m’asseoir de crainte de déranger l’ordre si parfait de la pièce. Le regard vide et froid du portrait placé entre les deux fenêtres accentuait, si cela était encore possible, mon malaise.

    Perdue dans la contemplation de cet ancêtre de mes hôtes, je ne les entendis pas entrer ; je sentis tout à coup que l’on m’observait et me retournais : Monsieur et Madame de la M*** étaient là, sur le seuil de la pièce, me regardant avec une étrange lueur dans les yeux. Je m'avançais vers eux, un sourire accroché aux lèvres. Bien que nous soyons parents, il n'y eut point d'effusion ; mon cousin me baisa la main d'une façon polie mais machinale et son épouse me donna une accolade sans chaleur.

    Une fois que nous fûmes dans le salon, Madame de la M*** fit servir un vin doux et des biscuits. A voir la mine de mon cousin, je n'eus pas grand mal à comprendre qu'il aurait tout donné pour être ailleurs. Vous connaissez, ma chère, cette expression « s'ennuyer à cent sous de l'heure »… Eh bien, à ce compte là, Monsieur de la M*** a terminé l'après midi fort riche ! J'en ri aujourd'hui, mais sur l'instant, croyez bien que je n'étais pas à mon aise. Je suis tout de même très étonnée que cet homme, qui se pique d'avoir une éducation parfaite, qui ne cesse de rappeler à tout bout de champ toutes les charges et devoirs pesant sur celui qui naît dans notre petite société, qui n'a pas de mots assez durs pour condamner tel ou tel comportement, qu'un tel homme donc, se montre aussi peu soucieux du bien-être de ces hôtes. C'est là pourtant le point le plus saillant d'une bonne éducation. Manquez à votre devoir d'hospitalité et l'on aura tôt fait de vous juger. Il y a quelques paradoxes aussi à faillir sur ce point quand on s'attache autant aux apparences.

    Contrastant avec l’attitude renfrognée de son époux, ma cousine me donnait avec une volubilité, qui ne cessait de m’étonner, des nouvelles des uns et des autres. Je mis ce relâchement soudain sur le compte du vin doux. En moins de temps qu’il ne me faut pour vous l’écrire, je fus informée de tout ce que je devais savoir sur ce qu’il s’était passé dans leur petite société villageoise. Elle me raconta comment le nouvel abbé sermonna si bien les brebis égarées un dimanche que, depuis, plus personne n’osait le recevoir à dîner de peur de se faire épingler en chair à la messe suivante. J’appris également qu’une parente commune avait donné un bal dont l’objet inavoué était de trouver un parti pour chacune de ses filles ; la tâche est grande, songez qu’elle en six. Ma cousine me décrivit ensuite avec force détails les travaux qu’ils avaient engagés dans la demeure de leur vigneron. Ah ça, mon amie, il faut rendre grâce à mes cousins d’avoir toujours eu à cœur de soigner leurs gens.

    En revanche, point de nouvelles de mes petits cousins, les enfants de Monsieur et Madame de la M***. Mon regard se porta un instant sur le médaillon que ma cousine avait à son cou et sur lequel une délicate miniature d’enfant était peinte. Elle le caressait sans cesse de la main tandis qu’elle parlait et lorsqu’elle vit que je l’avais remarqué, elle détourna rapidement ses yeux brusquement voilés de larmes ; mon cousin n’esquissa pas un geste de réconfort pour son épouse, il soupira. Je crus avoir rêvé cette émotion fugitive tant ma cousine reprit vite sa contenance et je ravalais la question qui me brûlait les lèvres, n'osant avouer que je venais de la part de leur fille. Je vous parais sans doute bien lâche, mais il y a des situations si terribles qu’il vaut mieux s’en tenir éloigné. Il y a toujours eu chez les M*** beaucoup plus d’affectation que d’affection.

    Cette sorte de mal est hélas fort répandu dans nombre familles de cette société que l’on dit bonne. Bonne, mais en quoi l’est-elle, mon amie ? Pour les apparences, certainement ! Pour les sentiments, c’est une autre affaire. Combien de drames se sont joués sur un air de valse dans un cadre merveilleux ? Combien de fils ont quitté leur père sans un mot, pas même un adieu ? Combien de filles ont fait un mariage sans amour pour quitter une mère vide de tendresse ? Combien de caveaux sont pleins de parents morts seuls ? Ils sont nombreux ceux dont le souvenir n’est plus entretenu, car même cela est trop douloureux pour les vivants, les survivants. Voilà ce qui me vint à l'esprit en voyant les yeux humides de Madame de la M*** .

    Il m’apparut brusquement que mon malaise était là. Cette maison magnifique n’était plus qu’un tombeau vide, froid et sans âme. On continuait à y jouer la tragédie de la vie, éternel recommencement des mêmes scènes, jour après jour, mais il n’y avait plus de spectateurs. Les acteurs, tristes marionnettes, déambulaient machinalement dans un décor d'une beauté sans âge, se donnant la réplique dans l'indifférence l'un de l'autre.

    On me raccompagna poliment sur le perron. En me retournant une dernière fois, je vis Monsieur de la M*** esquisser un geste de tendresse. Pour son chat...

    Une bien triste journée, vous dis-je.

    Votre FE.

    Laure Arcelin. Tous droits réservés, reproduction interdite.

  • Le plumitif

     

     

    et_si_finalement_....3.jpgMa bonne amie,

    L’automne décline, Paris s’endort doucement, et je retrouve les délices de mon petit boudoir. Je suis une femme de paradoxes. En ces temps où chacun se pique d’écrire, j’ai pour ma part remisé mes feuilles, mes encres et mes plumes dans cette vieille écritoire qui m’accompagne en tous lieux. Retenue un temps par quelques ennuis de santé, je suis ensuite partie sur mes terres de Bourgogne. Là-bas, des soucis ancillaires répétés ne m’ont guère laissé le loisir de me mettre à ma table de travail. Las ! Me voici de retour.

     

    J’ai reçu il y a quelques semaines de cela une personne qui m’avait été recommandée par un ami membre de l’Académie. Il s’agissait d’héberger un jeune homme qui se rendait à un salon littéraire d’un genre nouveau appelé « foire au livre ». Vous me connaissez, mon naturel me porte plutôt à la confiance et ma maison est toujours ouverte au talent, qu’il soit reconnu ou en devenir. Je me suis donc dit qu’avec une telle recommandation, ce garçon devait en avoir dans la plume si vous m’autorisez cette grivoiserie littéraire et je l’ai convié dans mon salon.

     

    J’ai d’abord été fort surprise par l’attitude méprisante et hautaine du sieur. Soit, ai-je pensé en mon for intérieur, cette assurance éhontée doit puiser sa source dans le génie du personnage… J’ai donc fait crédit sur ce point à notre homme et nous avons commencé à converser. En fait de conversation, j’ai eu droit, mon amie, a un monologue absolument édifiant au cours duquel ce jeune perroquet faisait son propre éloge en tant qu’écrivain. Me croirez-vous si je vous dis qu’il a poussé le jeu jusqu’à me décrire par le menu tout ce qui pouvait le rapprocher des plus grands de nos hommes de lettres. Je vous passe les effets de manche qui ponctuaient son propos, de même que je vous épargne la description de ses mines inspirées quand il me détaillait les affres de ses créations. Je dois à ma bonne éducation de ne pas m’être esclaffée. A la fin de la soirée tout ce verbiage m’avait tant épuisée que je suis allée me coucher sans passer par ma petite bibliothèque comme je le fais d’ordinaire. J’ai dormi d’un sommeil que je qualifierai d’éternel tant il fut lourd et profond.

     

    A mon réveil, le lendemain matin, le jeune homme était parti retrouver ses pairs au salon en question. Pour me distraire, disait le petit mot qu’il avait écrit à mon attention, il me laissait une épreuve de son manuscrit. Je passais sur la faute d’orthographe énorme qui ornait le premier mot de la missive. Votre amie facétieuse a préféré la mettre sur le compte d’un souci esthétique de son auteur. Certains de nos grammairiens n’ont-ils pas érigé la fantaisie orthographique en art à part entière ? J’ouvrais donc le manuscrit pleine d’indulgence et de bonne volonté.

     

    Comment vous décrire ce que j’ai lu ? Ah, certes ce jeune homme avait du génie, mais je doute fort que ce soit celui dont il se croyait pourvu. Figurez-vous qu’il était parvenu, par son seul style, à rendre plus lourd que le plomb des propos par ailleurs d’une insignifiance crasse. Tout n’était que redondances, mots faussement savants employés mal à propos, fautes de temps, de style et j’en passe. De façon générale, je ne crois pas que l’on puisse sacrifier le style sur l’autel des idées… Songez qu’ici, il n’y a ni style, ni idée… Voilà ce que notre temps produit comme gens de lettres ! Si encore il se contentait de les produire… mais voilà qu'il les encense.

     

    Nous vivons une drôle d’époque et, pour tout vous dire, je ne m’y sens pas à mon aise. La quantité l’emporte sur la qualité, et le faire-savoir sur le savoir-faire. S’il y a des domaines où ce constat n’emporte guère de conséquences dommageables, il n’en est rien s’agissant des Arts. Les Lettres, qui y ont toute leur part, ne sont pas épargnées par ce mal.

     

    Plus que jamais, tout est perdu, mon amie. L’élégance des mots s’en est allée au fil des siècles. L’humilité, mère de l’excellence, a été remisée au grenier des valeurs obsolètes avec sa consœur la rigueur. On s’auto-congratule, on se coopte, on érige la médiocrité en nouvel étalon. Il n’y a plus d’écrivains dans des salons, mais des plumitifs dans des foires, et ce sont les Lettres que l’on mène à l’abattoir.

     

    Ne vous étonnez pas qu’après tout cela, j’ai envie de poser mes stylos.

     

    Votre triste et toujours lucide

    FE

     

    Laure Arcelin-Reproduction interdite, tous droits réservés.