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Une fâcheuse promesse


Ma chère amie,

Vous ne le croirez peut être pas, mais celle qui vous écrit ce jour s’applique à gagner son paradis d’une manière des plus désagréables ! Oui mon amie, tant qu’à gagner son billet pour les verts pâturages, autant le faire de façon plaisante car après tout, il n’est écrit nulle part que seules les grandes douleurs conduisent au salut de l’âme.

J’héberge depuis quelques semaines maintenant une mienne cousine provinciale désargentée et je souffre mille morts chaque jour depuis que cette jeune personne a posé ses malles entre mes murs. Lors de ma dernière halte sur mes terres bourguignonnes, je me suis en effet prise d’affection pour cette demoiselle plutôt bien née quoique sans le sou. Dans un élan d’affection, j’ai proposé à ses parents de guider ses premiers pas dans le monde. Je trouvais l’entreprise d’autant plus attrayante que n’ayant finalement que peu d’écart d’âge avec cette jeune personne, je trouvais là une belle occasion de m’amuser un peu.

Que suis-je donc allée faire dans cette galère ? Je me le demande chaque matin au lever. Cette jeune personne n’a aucune conscience de son encombrement qu’elle a pourtant fort grand. Non qu’elle soit de constitution robuste, car elle est même plutôt petite et menue. Je ne laisse d’ailleurs pas de m’étonner qu’une personne si frêle occupe tant d’espace dès qu’elle paraît dans une pièce. C’est que la demoiselle qui a le verbe facile parle aussi fort haut et d’une voix qui plus est nasillarde. Ce babillage incessant, cette logorrhée sont un supplice pour les oreilles de l’aurore au coucher et un défi pour l’entendement tant les propos sont futiles. Les jours passant, j’ai grand peine à garder un air attentif devant tant de bêtise. Quand je sens que l’accablement me guette, je me réfugie dans mon boudoir, m’allonge un instant, ferme les yeux et force mon esprit à se vider de ce trop plein de « néant ». Mais rien n’arrête cette insolente, pas même une porte fermée car elle est curieuse par surcroît. Mes petites échappées se transforment alors en traquenard puisque je me trouve confinée avec elle dans l’espace réduit de mon petit salon.

J’ai cru trouver une issue en lui demandant de bien vouloir nous lire à haute voix ce roman si charmant de Madame de Lafayette. Las ! Elle s’est livrée à l’exercice d’une voix monocorde, seulement interrompue par la reprise de son souffle. Quand elle n’ânonnait pas certains mots, elle en écorchait d’autres. J’en venais à regretter son babillage insignifiant. C’est vous dire… Les moments les plus ardents entre la Princesse de Clèves et le Duc de Nemours en devenaient presque drôles. L’idée de la lecture a donc fait long feu.

Je l’ai alors emmenée en promenade du côté de Port-Royal et l’ai confiée aux bons soins de nos sœurs pour quelques jours. Ces femmes, qui ont plus que moi vocation à la sainteté, sauraient sûrement occuper l’esprit bouillonnant de ma jeune parente. Deux jours ne s’étaient pas écoulés que la Mère Supérieure me faisait mander pour que je vienne reprendre possession de ma charge. Si l’inconsciente était ravie de sa retraite, les sœurs n’ont pas caché leur soulagement. La volubile avait troublé les offices et mangé plus que de raison alors que nous sommes en carême.

C’est que je ne vous ai pas encore dit qu’elle compte aussi la gourmandise parmi ses petites tares. C’est une chance remarquez. En effet, cette jeune personne qui a quelques restes de son éducation ne parle jamais la bouche pleine. Il faut dire aussi qu’elle est toute à son assiette au moment des repas. Mais un inconvénient chasse l’autre, car elle bâfre plus qu’elle ne mange et ce spectacle conduit à l’écœurement des autres convives. Depuis un mois qu’elle est ici, sa taille a pris deux centimètres et je dois faire ajuster toutes ses robes par ma modiste. N’ayant pas l’âge d’être sa mère, mes conseils ne portent pas et c’est tout juste si mes remarquent suscitent chez elle un haussement de sourcil.

Ah ! si seulement nous savions à l’avance où peuvent nous conduire certaines promesses et comme elles peuvent être funestes dans leurs conséquences, je gage que nous garderions bouche close au moment de prononcer des paroles engageantes.

J’entends des pas. Ce doit être elle. Je vous laisse mon amie...

F.E.
 

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Commentaires

  • Ma pauvre amie ! Combien ce doit etre inconfortable de devoir supporter une telle parente... Mais comme vous tournez tout cela parfaitement en mots ! On sent qu'ecrire, c'est le seul calme, la seule respiration qu'il vous reste.

    Et puisqu'il est question de promesses, sachez que je suis bien malheureuse de n'avoir pu (encore...), tenir la mienne, pietre correspondante desaccentee que je suis.

    A bientot

  • Rien n'arrive ici bas sans l'acquiescement volontaire de Dieu. si vous voila tout à coup privée d'accent c'est qu'Il l'a voulu ! Et surement que vous l'avez mérité... Quand à vous, Madame, il est écrit : Ne pas jeter vos perles aux truies , reservez les pour les licornes.

  • Que de mystere toujours en cette page... Je sais, je sais bien causalite minuscule, que les accents ne s'envolent pas sans raisons ! Mais de la a croire qu'"Il" l'ait voulu, tout de meme pas - je pense qu'Il a mieux a faire que de se soucier des velleites de mon clavier qwerty... Ce qui ne signifie pas que je ne suis pas une pecheresse !

  • Insinuriez vous qu'Il dédaigne l'infime ?

  • Sacrifiriez vous le clavier à l"ivresse, Madame ? Du fond de mon désert je fais ce que je peux.

  • Pas du tout Monsieur. Je pardonne toujours aux nécessiteux, si nécessité il y a.

  • Ma chère, notre amie Salomé illustrerait-elle à sa manière, non pas le personnage de votre lettre, mais son titre ? Elle n'est certes pas une fâcheuse, mais ne vous a t-elle pas fait une... fâcheuse promesse ?

  • Epouvantable parentèle que la vôtre, ma chère, ou du moins ce que vous nous en dites ! Entre le frère et la cousine, l'ancien amant dont vous nous parliez il y a peu me semble de bien meilleure compagnie...

  • Il faut trancher les liens du sang !

  • Ah, oui ? Eh bien, ma chère, c'est un drôle d'aveu que vous nous faites là... Regretteriez-vous certain choix peut-être ?

  • " ICI ON PEUT APPORTER SON AMOUR "

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