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Le père P.

 

Puisqu’il faut nous quitter, Chère Amie, c’est par nos plumes que nous poursuivrons cette conversation que nous entretenons depuis si longtemps. A Dieu ne plaise qu’il ne vous arrive rien de fâcheux en ces terres que l’on dit si hostiles. Vous connaissez mon sentiment sur ce départ, aussi je ne vous le redirai pas. Sachez tout de même que je ne vous approuve qu’à demi. Quel besoin avez-vous d’accompagner votre époux dans cette affectation lointaine ? Vous auriez tout aussi bien pu l’attendre en notre bonne ville. Après tout, la compagnie n’y est pas si mauvaise et suivre son mari relève d’une vue du mariage qui n’est pas mienne ! J’espère au moins que vous me divertirez en me mandant par le menu les mœurs des indigènes de cette contrée. Voilà qui atténuerait la peine que votre éloignement me cause !

J’ai rencontré ce matin notre relation commune L. P. Cette personne est, je pense, à cent lieux d’imaginer ce qu’au fond nous pensons d’elle. Je riais intérieurement de l’entendre me demander de vos nouvelles, vous qui êtes son pire détracteur. Si l’intuition féminine existe, il est vain d’en rechercher la moindre once chez elle ! Nous nous sommes souvent amusées de ses tenues bariolées à l’excès. Elle avait ce matin tout l’air de ce volatile que l’on nomme perroquet. Les couleurs flamboyantes de cet oiseau ne sont guère séantes pour une femme, fût-elle encore jeune. On se donne de grands airs, voilà qu’on ressemble à un perroquet pour se trouver finalement taxée de grue dans le secret des correspondances. Avouez que cela est piquant ! Je reste au demeurant moins sévère que vous qui ne pardonnez rien aux gens de cette sorte. Reconnaissez-lui au moins le mérite d’avoir su élever ses enfants au-dessus de leur condition. N’est-ce pas là tout le bien que l’on peut attendre d’une éducation réussie ... ?

Pour être honnête, je vous avoue que je vous rejoins pour dire qu’il y a de la grâce dans l'histoire de cette ascension familiale. Il est vrai que son époux le père P est un rustre de la pire espèce. Je garde un souvenir impérissable du dîner auquel nous fûmes conviés il y a quelques années de cela. Si l’intérieur des maisons en dit autant sur leurs hôtes que de longs discours, la demeure du père P est une grande bavarde. Il n’y a rien de plus désolant que les gens qui se donnent l’air d’être ce qu’ils ne sont pas. Chez les P, vous vous sentez agressée dès le vestibule. Les meubles de mauvaise facture s’y étalent et le mauvais goût vous remonte à la gorge comme un haut-le-cœur. Votre œil est irrésistiblement attiré, aspiré même, par une peinture représentant une vue de notre bon Paris ; mais un Paris d’opérette ma chère, un Paris aux couleurs cocottes, un Paris criard qui hurle au visiteur sa honte d’être ainsi entoilé. Cette croûte n’aurait-elle qu’un seul mérite, ce serait celui de m’éclairer sur l’inspiration vestimentaire de Madame P. Elle doit se faire fort le matin de s’assortir à son intérieur. C’est un défi comme un autre après tout, et il en est des pires. Au moins celui-ci a t-il le mérite de nous divertir.

Je ne garde du dîner en lui-même que peu de souvenirs. Pour dire le vrai, je n'en aurais conservé aucun si l'on ne nous avait servi le saumon avec des couverts à poisson et repassé deux fois les fromages ! Fénelon, alors qu'il était précepteur de Monseigneur le duc de Bourgogne, lui aurait dit "qu'il était plus facile d'apprendre à parler comme un gentilhomme qu'à manger comme lui" ... Ce disant, peut-être pensait-il à quelque père P. de sa connaissance ...

Assez de mauvaises pensées pour ce jour. Je vous quitte mon amie en espérant vous lire bientôt. Votre dévouée F.E.

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Commentaires

  • Ma bonne amie, je conçois quelque doute sur l'authenticité de la maxime que vous prêtez au grand Fénelon. Je crains que cette maxime ne soit de l'invention d'un vôtre parent qu'on dit vain dans les salons, et grossier dans le particulier. Je le sais aussi, à l'occasion, l'inventeur de principes qu'il impose aux autres pour ne point se les appliquer à lui-même. Des principes qu'il présente volontiers comme les meilleurs, et comme les plus certains du savoir-vivre. Or de savoir-vivre, il faut à la vérité de dire qu'il en est tout simplement dépourvu.

  • Qu'importe la lettre Monsieur, lorsqu'on a l'esprit ! Je vous dois la vérité de dire que j'ignore si Fénelon a prononcé ces mots. C'est pourquoi j'ai usé du conditionnel pour les rapporter. Sur ce mien parent, vous tenez des propos qui font mouche d'autant qu'ils ne sont pas faux. Monseigneur l’évêque de Cambrai disait que "d'ordinaire, ceux qui gouvernent les enfants ne leur pardonnent rien, et se pardonnent tout à eux-mêmes.", voilà qui va à ce triste sire comme un gant de la meilleure peau.
    Votre dévouée F.E.

  • Pourquoi pas de couverts à poisson pour le saumon ? Personne n'a jugé utile d'aviser les gentilshommes que cet aimable animal était muni d'écailles ?

    Pôvres pôvres gentilshommes !

    (je ne voudrais pas être méchante, mais ils sont gentils)

    Nadine.

  • Et vous doutez bien !

    Vous avez raison : le saumon ne se sert pas avec des couverts à poisson, il attend qu'on le serve car il est très sage et timide, et n'ose pas montrer ses nageoires aux autres convives.

    Question grave, grave question : qu'est-ce qu'une bonne maison ?

  • Les visages découverts sont rares à ne pas être des masques en ces parages blogosphériques, chère F.E. de ... (hôpital... charité...) !

    Je ne sais trop, je l'avoue, ce qu'est une bonne maison, et j'attends votre billet en frétillant comme une saumonette, mais je sais bien que les bals masqués sont une chose bien douce et grisante, vous me l'accorderez !

    Vous savez bien, du reste, qui je suis ; quant à vos autres lecteurs, n'ayant pas l'honneur d'avoir fait leur connaissance, je sais qu'ils ne m'en voudront pas de ne pas leur donner mon nom, mon adresse ou pourquoi pas mon âge et mon poids !

  • J'avions point de blog, belle dame, je sommes une vilaine, une croquante parmi les biaux gentilshommes qui n'savent point que l'saumon est un poisson ! Vela pourquoi j'avions point donné d'adresse ! Je ne pensais guère vous abuser, ayant déjà signé Nadine certain billet très privé que je vous envoyai à l'après-dîner... Mais tant de correspondance peut tourner un peu la tête !

    Pardon de cette interminable méprise... Je ne pensions point à mal, mais je n'eus pas l'honneur d'être éduquée par un évêque...

    Et je suis une femme, une vraie, pour toujours, ça c'est sûr foi d'Agur !

    Vous voilà déjà assurée de m'avoir peut-être lue plus souvent que vous ne le pensiez et que vous ne le souhaitiez !

    Je vous admire, sans étendard et sans dard,

    Votre servante

  • Cette querelle sur le bon usage des couverts à poisson est très amusante et provient peut être de ce que la chair de saumon a parfois été considérée comme de la viande et donc incomestible le vendredi.
    Quoiqu'il en soit, je tiens à démentir la rumeur qui voudrait que, sous tel nom d'emprunt, je serais ici intervenu avant ce jour. Ce n'est pas moi et je ne connais pas ces gens.
    Bien fidèlement,

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