Chère C.M.
Je t’écris sous le coup d’une émotion que je maîtrise mal. Aussi, tu voudras bien me pardonner cette main tremblante et des propos peut-être décousus. Quel dommage que le téléphone ne fonctionne pas ! Ah, ces nouvelles technologies !
Figure-toi que je viens d’apprendre que W postulait pour entrer à l’Académie ! Oui ma Chère rien que cela ! J’étais chez notre amie B. qui recevait à déjeuner. Tu la connais aussi bien que moi et tu sais son amour pour les cancans et les potins. Les rumeurs les plus folles du tout-Paris s’y colportent et s’y échangent. Les mauvaises langues disent qu’elles s’y créent aussi. Beaucoup y meurent. Mais je reviens à la nouvelle du jour. Tu imagines un peu, W à l’Académie ! Quand B me l’a appris, je suis restée comme deux ronds de flan et j’ai eu l’air stupide durant de longues minutes.
Assurément W est riche, très riche même. Tellement riche qu’il s’est offert l’an dernier une maison d’édition en difficulté. Il a commis quelques mois plus tard une sorte de chose que j’ai peine à qualifier de livre. Disons que c’est une suite de mots sans trop de queue ni de tête vautrés plutôt que couchés sur du papier. Dire qu’il a reçu mauvaise presse est peu. Enfin, il aurait pu n’avoir aucune presse, c’eût été mieux encore.
La langue française est une trop belle chose pour la mettre dans n’importe quelle bouche, et celle de W est vulgaire.
Au demeurant, l’animal a du nez, on ne peut lui dénier cette qualité. Il n’a par ailleurs aucune conscience de son ridicule. Là où d’autres se seraient terrés durant des mois en quelque cache provinciale, W a, quant à lui, arpenté, le ventre en avant, les couloirs de la rue d’Ulm pour se trouver quelque étudiant en délicatesse avec son banquier. Je te prie de croire, qu’il n’a pas eu de peine à trouver. C’est ainsi qu’en quelques semaines, W se trouve l’auteur d’un livre dont il n’a pas écrit une ligne. Quant à l'avoir lu...
Paris perd la tête ma Chère !
Je t’embrasse.
F.E.
Tous droits réservés, reproduction interdite
Commentaires
Chère Madame,
Juste une petite question d'une lectrice appréciant fort la verve et la verdeur de vos billets, qui se demande toutefois si vous êtes ou non en dehors de toute temporalité: vos précédentes lettres me faisaient vous imaginer vivant au plus un début de dix-neuvième siècle, et voilà qu'aujourd'hui je ressens que vous ne pouvez qu'être que de l'aube du vingtième…
Cela doit être ce « en quelques temps » qui se moque de moi!
Bien à Vous
Ma chère, vous allez peut-être me détromper, mais il m'a semblé reconnaître le fameux Willy sous les traits de ce riche W si peu habile de sa plume et si prompt à recourir à celle des autres. Et l'on sait à quelle plume il a d'abord recouru avant de devoir y renoncer au prix d'un procès, puis d'un divorce.
Quelle piètre lectrice je fais! Madame avait été jusqu'à laisser, en indice, une coupe à la Claudine… et je n'y ai vu que du feu!
Mais dites-moi chère Madame, ne pas inviter Monsieur W. ne risque t'il pas de vous couper tous ponts avec sa chère, jeune et tendre épouse ? Savez-vous qu'on la dit très bonne amie d'un Monsieur Marcel Schwob, avec qui elle correspond joyeusement ?
Je m'en voudrais, Chère Madame, de vous renvoyer une telle image de vous même. Je vous trouve au contraire très perspicace dans vos questions. Il est vrai que je prends plaisir à brouiller les pistes au risque d'égarer les lecteurs. Je conjugue mes lettres à tous les temps de l'imaginaire. Et si je laisse de çi, de là, quelques clés pour le piquant, je m'évade la plupart du temps des contingences trop rigides. Vous parlez sans doute de la coupe "à la garçonne" ? C'est celle de Loulou, née un an après la mort de M.S.
Je suis passée par chez vous ; une fort belle demeure ma foi !
Votre dévouée
F.E.