Chère C.M.,
J’ai assisté aujourd’hui à une scène qui m'est apparue très révélatrice des temps que nous vivons.
J’avais en tête de faire quelques courses dans ce grand magasin du VIIe arrondissement que nous affectionnons tant en vue de mon prochain départ en vacances. Arrivée aux grandes portes d’entrée, particulièrement lourdes à manier, je surprends deux querelleurs tellement à leur affaire qu’ils ne se rendent pas compte qu’un petit attroupement s’est constitué alentour.
L’une des personnes est une femme jeune, mise comme la mode le veut : jupe courte, botte montante au-dessus du genou, des jambes à n’en plus finir, un corps que l’on devine musclé, une figure qui serait avenante sans la farouche détermination que l’on y lit. L’autre ? Son exact opposé. Un petit homme à l’air… bonhomme. Ni jeune, ni vieux, la barbe de trois jours, l’imperméable plus très frais, le pantalon qui tirebouchonne un peu sur des chaussures qui ont fait leur temps, un regard comment dire… éteint, oui, éteint. Il se faisait copieusement insulter par la furie parce qu’il ne lui avait pas tenue la porte et il ne disait rien.
Il y a vraiment des femmes, ma Chère, qui me donnent envie d’être un homme, ne serait-ce que pour leur dire leur fait sans détour.
A l'instant où je commençais à ressentir de la pitié pour ce pauvre hère, l’œil de notre homme se mit friser et dans un sursaut - d’orgueil ? – il rétorqua à la donzelle : « Eh quoi ! Vous avez voulu l’égalité, vous l’avez ! De quoi vous plaignez-vous ? Que je ne vous tienne pas la porte ? Que je ne sois pas galant dites-vous ? Mais pourquoi donc le serais-je ? Parce que vous êtes une femme ? Mais nous sommes égaux, non ? La galanterie n’est donc plus de mise ici. L’éducation alors ? Mais à ce compte, Madame, c’est vous qui auriez dû me tenir la porte puisque visiblement je suis plus malingre et plus âgé que vous... » La belle se décomposa et sans demander son reste, tourna les talons. Quant à notre homme, c’est la tête bien droite et le regard bien vif qu’il entra dans le magasin comme s’il avait retrouvé un semblant de dignité.
J'ai beaucoup ri.
F.E.
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Commentaires
La galanterie n'est que la forme la plus sublimement ritualisée de cette concurrence des protections par lesquelles des mâles tentent de subjuguer le sexe faible. Le divorce, l'avortement, la parité (n'entendez-vous pas comme chacun de ces mots agresse l'oreille, le coeur, l'âme?) en ont anéanti l'utilité et donc aussi tout l'intérêt.
La galanterie n'a jamais servi à subjuguer le sexe "faible" que je préfère pour ma part qualifier, en galant homme, de "beau" sexe.
La preuve : elle a été inventée par les femmes elles-mêmes pour pacifier et civiliser le désir masculin (lire à ce sujet le livre érudit et vraiment éblouissant de Mme Claude Habib, "Galanterie française") ! Elle a connu ses beaux jours dans les cours médiévales et, par le suite, aux XVIIè et XVIIIè siècles. Les femmes y régnaient sur les coeurs et aussi sur les intelligences, faisaient la pluie et le beau temps dans les arts et les lettres, donnaient le ton et le goût à toutes choses. On imaginait pas une belle action qui ne leur fût d'une manière ou d'une autre dédiée.
Je trouve pour ma part très beau qu'un monsieur tienne la porte à une jeune femme ou même à une jeune fille, fût-elle plus vigoureuse que lui. J'ai connu de vieux monsieurs vraiment très dignes qui n'hésitaient pas une seconde quand il s'agissait de laisser le passage à une femme, même à une lycéenne, et qui ne seraient jamais restés la tête couverte devant une dame.