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Le cousin de Madame de ***

Ma bonne Amie,

Je suis bien aise des nouvelles que vous me mandez. Ainsi donc, vous voici de nouveau grosse des bonnes œuvres de votre époux. Monsieur du … met bien du cœur à avoir ce fils qu’il souhaite tant ce me semble ! Ménagez-vous ma bonne, et de grâce, ne laissez pas votre santé s’user à cette tâche, fût-elle bénie de notre Seigneur. Je me confesse mécréante pour ces affaires-là. Je ne connais que trop le prix de cette vie pour ne point la gâcher par moult désagréments, quelle que soit leur nature.

Je retrouve avec bonheur notre bon Paris après une halte de commodité chez Monsieur mon cousin en Bourgogne. C’est un plaisir toujours renouvelé que de parcourir ce domaine où je suis née. Imaginez qu’à l’été finissant, les camaïeux de verts se disputent le paysage avec les ocres d’un automne qui s’avance à pas lent. La nature est en joie de la vendange qui approche, et les cuvages que l’on aère exhalent les effluves des crus passés. Cette terre de Bourgogne prête à donner son fruit est comme un corps de femme: grasse, toute en courbes et vallons … Ah ! mon amie que j’aime ce pays si plein de délicieux souvenirs de l’enfance que je garde en mon cœur gravés comme autant d’eaux-fortes, témoins d’un temps qui fut et qui fuit.

Voilà que la nostalgie gagne votre incorrigible amie prompte à tous les emportements.

Il faut tout de même que je vous avoue que mon séjour bourguignon a été quelque peu terni par la triste humeur de mon cousin. Figurez-vous ma chère que ce monsieur se plait à jouer les dévots. Il vous souvient que le personnage était plutôt un gai luron dans sa prime jeunesse. Il affichait alors une foi raisonnable, plutôt crapaud du Marais que grenouille de bénitier, plus pêcheur que prêcheur, amateur de bons crus plus que de vins de messe, de bons rots plus que de pain béni.


Quelle triste mine il affiche aujourd’hui ! Sa mise est terne, sans ornement aucun, et il se donne des airs de barbon quand il n’a pas trente ans. Son œil est sévère et sa bouche amère. Les ailes de son nez, qu’il tient pincé, frémissent quand il assène quelque sentence comme s’il battait lui-même la mesure d’un muet requiem. Lui qui riait à gorge déployée, c’est tout juste s’il ricane parfois. Il est affecté enfin d’une sorte de petit toussotement sec qu’il étouffe dans un mouchoir de fine baptiste qu’il a constamment à la main.

Son cœur est sec, ses jugements sur telle âme qui se serait éloignée du droit chemin sont sans appel ; on ne sait trop à quelle aune il définit la rectitude dudit chemin. Toute notre parentèle a eu ainsi les grâces de ce triste sire. Ses anciens amis sont devenus des exemples à ne pas suivre et ses nouvelles relations sont toutes à son image. J’ai appris avec effroi qu’il avait laissé périr à l’hôtel-Dieu une proche cousine dans le plus grand dénuement : « Vous comprenez ma sœur, la malheureuse mérite ce sort et doit maintenant rendre compte au Très-Haut de ses égarements passés et, en père responsable, je ne saurais faire entrer une telle pécheresse chez moi ».

Savez-vous mon amie de quoi est morte cette cousine ? D’avoir voulu faire passer un enfant. Et voulez-vous que je vous dise qui était le père ?

Je vous laisse le deviner.

Votre triste mais dévouée F.E.

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Commentaires

  • Deo gratias ! vous revoici ! vous nous avez cruellement manqué, savez-vous ?

    Laissez donc à ceux qui s'en délectent la joie malsaine de boire mauvais vin, de messe ou non du reste ; et trinquons gaiement aux joies de ce monde que ces tristes sires nous abandonnent avec leur mépris, et dont nous saurons nous contenter, si nous sommes sages peut-être.

  • Chère Nadine,

    C'est très volontiers que je savourerai avec vous les appétissantes nourritures terrestres !

    Vous avez raison, ne laissons pas les pisse-froid et autres faces de carême gâcher notre passage en ce monde où bassesse et bêtise se disputent les honneurs.

    Votre dévouée, mais sans illusion,

    F.E.

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