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L'honorable parlementaire

Chère C.M.

J’ai reçu l’autre soir à dîner le député G. Je l’avais rencontré alors que je travaillais au Palais Bourbon servant de plume docile à l’un de ses collègues, T, député-maire d’une petite ville résidentielle. Il me souvient qu’à l’époque ces deux-là ne s’estimaient guère, chacun traitant l’autre d’imbécile patenté, de gougnafier et de parasite de la République. Il faut dire que dans cette partie-ci du VIIe arrondissement le mètre cube d’injure n’est pas cher. C’est bien la seule chose abordable d’ailleurs dans ce carré étroit qu’est la place du Palais Bourbon.

Il faut croire que l’eau a bien coulé sous le Pont Alexandre III, car mes deux oiseaux qui sont désormais les meilleurs ennemis du monde se respectent et ne s’insultent plus. Tu noteras que je n’emploie pas le mot ami. Cette espèce n’existe pas en politique. On peut y croiser des alliés, toujours de circonstance ; des amis, jamais. A côtoyer de près ces hommes durant de longues années, j’ai retenu quelques règles essentielles si l’on veut survivre dans ce petit milieu. Toujours se méfier de celui qui s’avance, la main offerte en saluant son collègue d’un « Mon ami comment vas-tu ? ». Toujours fuir aussi celui qui met la main sur l’épaule d’un congénère en lui susurrant un « à toi, je peux bien le dire puisque tu es un ami ». Dans le premier cas, la petite phrase masque au mieux une indifférence polie, au pire le secret espoir que l’autre réponde « mal, très mal, je vais tout lâcher ». Dans le second, au mieux le tuyaux est percé, au pire c’est un piège.

Entre ennemis les choses ont le mérite d’être claires. Point n’est besoin d’artifice. On se croise, on se toise, on se mesure, on se défie. Tout cela peut se jouer en un regard à la salle des quatre colonnes ou à la buvette du palais. Etre ennemis en politique, c’est une sorte d’adoubement, une espèce de cooptation entre mâles de force égale. N’est digne d’être ainsi qualifié que celui qui menace le pré carré de son semblable, celui qui est pressenti comme étant de même valeur. Bref, celui qui inspire le respect quelque soit son camp et, pour dire le vrai, je pense qu’au fond, les pires ennemis se partagent le même. C’est paradoxal, mais c’est ainsi. C’est une chose que T n’a jamais comprise. Il faut dire qu’il est un rentier de la politique. Sa circonscription, héritée de son père est un terrain de jeu quand celle de G, conquise voix après voix, est un champ de bataille. La facilité de l’élection ne fait pas le talent. Et cela, T ne l’a pas davantage compris.

C’est que Monsieur le député est un grand sentimental en fait. C’est un homme qui persiste à ne se voir que des amis avec une constance confinant à la bêtise. Je lui ai souvent dit qu’il avait raté sa vocation et il ne sortait jamais tant de ses gonds que lorsque je le traitais de nouveau Candide. Il me fait l’effet d’un missionnaire égaré dans une tribu anthropophage avec sa bible comme seul bouclier, une espèce de pacifiste niais qui se promènerait la fleur au fusil dans les couloirs du Palais quand tous les autres auraient leur tenue de combat et raseraient les murs de peur de se prendre un coup mortel dans la colonne. Toutes les vilenies sont permises dans les couloirs feutrés et lambrissés de la République : élaboration de fausse rumeur, délation fiscale, indiscrétion savamment orchestrée à quelques « canards »… Ne jamais baisser sa garde car sous les moquettes épaisses et les marbres rutilants, se dissimulent bien des chausse-trappes ! Si les chats qui se prélassent aux beaux jours dans les fourrés des jardins de l’hôtel de Lassay savaient parler, ils nous en conteraient de belles sur les coulisses de ces palais où la comédie démocratique se joue à grands frais. En ces lieux, l’hypocrisie tient le manche quand la mesquinerie frappe.

J’ai toujours parcouru avec un plaisir curieux mêlé de crainte les caves voûtées et les couloirs souterrains du palais, car je m’ imaginais que peut-être un jour j’y découvrirais, au hasard de ces pérégrinations, le squelette morcelé de quelques victimes du parlementarisme rationalisé. A cette évocation, je souris encore. En fait de cadavres, je n’ai jamais vu errer autre chose que quelques rats ; encore étaient-ils rares, car les chats bourbonnais sont redoutables d’efficacité. Quelques gardes républicains aussi traînaient leurs guêtres en ces lieux sombres et poussiéreux, car la sécurité de certains sites s’attache aussi à leur sous-sol.

Mais j’en reviens à notre ravi de l’hémicycle.

S’il est une chose que l’homme politique n’aime pas, et T en était un exemple parfait, c’est d’avoir à choisir. Car choisir, c’est éliminer et donc déplaire à quelques-uns. Déplaire… quel drame pour celui qui ne vit que par et pour le regard des autres. Ne pas avoir à choisir pour ne pas avoir à déplaire : c’était le rêve de T. Combien de fois l’ai-je vu se ronger les sangs, tourner en rond dans son bureau, rédiger une prise de position, la déchirer pour adopter l’option opposée pour finalement s’arrêter, la tête entre les mains, et me lâcher tout de go « je suis perdu » avec des yeux de chien battu !

Au fond, j’ai toujours pensé que pour les neuf dixièmes d’entre eux, ces honorables parlementaires étaient centristes dans leur for intérieur par peur du choix ; certains sont plus au centre que d’autres, c’est tout.

Le marais a encore de beaux jours.

F.E.

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Commentaires

  • Bonjour ! Tout cela me semble assez juste et bien observé et m'inspire une question : Est-ce que l'arrivée des femmes en politique peut changer les comportements ?

  • Ah mais peut-être nous sommes-nous alors croisés, Madame, dans les couloirs du Palais Bourbon, ayant été aussi, quelques temps, le factotum d'un honorable parlementaire !

    C'est malheureux, l'expérience m'a définitivement fâché avec les moeurs démocratiques.

  • Peut-être, Monsieur, peut-être... Tout dépend des années concernées.

    Que c'est amusant en tout cas ! Vous éveillez grandement ma curiosité cher ami.


    [ce message pour Garenne, s'il passe une oreille: vu mon âge, il est entendu que nous causons là des débuts de la Vème République...]

  • La curiosité du Uhlan aussi... Cher Gauthier, vous étiez au Palais ou au 101... ? Ou peut-être au 235... Clin d'oeil amical.

  • Quoique dans un bureau de la taille d'une chambre de bonne, j'ai eu la chance d'être "au 126" même, dans l'un des bureaux surplombant la Cour Montesquieu (plus communément appelée "cour des chauffeurs" !).

  • Au 126 même ?! Un privilégié par conséquent...

  • Ha ha ! Cela sent la Présidence de Commission !

    Les garçonnières du 101 n'ont jamais aussi bien porté leur nom qu'à l'époque - récente - où je traînais mes guêtres à la Chambre : le vice italien y était en effet, dit-on, conquérant !

  • Esclaffer ? Que vous arrive t-il ma chère ? A propos de vice italien, savez-vous ce que vous dites ? Autrefois, c'était celui des invertis...

  • Vous êtes aimable Cavalier, mais je sais fort bien ce qu'est le vice italien et n'ai pas besoin de vos lumières sur ce point.
    Je pensais à autre chose...

  • Merci cher Uhlan d'avoir transmis ainsi toutes mes amitiés à Madame ! De passage en ces couloirs que je connais mal (mais que vous nous faites si joliment découvrir), j'ébauche ce matin pour vous Madame, une nouvelle danse des voiles...

  • Merci Salomé de cette petite visite surprise ! Méfiez-vous toutefois car dans ces petits couloirs, je ne donne pas cher de l'honneur d'une jeune femme dansant juste couverte de quelques voiles ...

  • mes reines sont faites de cuirs léger et souple (huile de pied de boeuf)

  • Mais encore ?

  • le mors de mon destrier plus leger qu'une oiselle...

  • le chanfrein retenu par une main de chair,le chapeau de mon maitre ouvert sur l'infini...

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