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A Madame du *** - Page 2

  • Le retour ?

     

    medium_522px-Plabche_VII_D_apres_la_Toilette_d_une_Elegante_de_Freudeberg.jpgL'encre de mes dernières lettres doit être bien sèche voire passée depuis le temps que je vous laisse dans le silence. Dieu m'est témoin que j'ai en vous une amie fidèle dont je n'ai pas à craindre le courroux. Je suis encore un peu faible ; aussi, je ne peux vous promettre une lettre quotidienne comme cela fut le cas en d'autres temps.
     
    Mon salon s'est éteint doucement malgré le passage de quelques amis venus y quérir des nouvelles que votre amie était bien en peine de donner. Je voudrais qu'ils sachent que leurs messages ont bien adouci certaines de ces heures sombres. Vous leur direz, n'est ce pas ? Vous qui me connaissez savez bien que j'ai toujours grand-mal à montrer mes sentiments. Que voulez-vous, je dois à Monsieur mon père d'exceller dans l'indifférence. C'est là un travers qu'il me faudrait corriger.
     
    La dignité que nous devons à notre éducation est une chose terrible quand elle conduit à ravaler au plus profond de l'être toute spontanéité. Je n'ai rien contre les principes, vous le savez bien, car ils soutiennent l'Homme. Point trop n'en faut toutefois car, à l'excès, ils donnent de l'âme une vision déformée comme celle que les corsets donnent de nos corps.
     
    Ainsi va notre petit monde, mon amie. Il n'y a pas que du bon dans cette société composée de gens que l'on dit de bonne compagnie. Combien d'entre eux sont morts, étouffés par les larmes qu'ils n'ont su verser ? Je voudrais bien le savoir. Mais je me rends compte que ces lignes reflètent une humeur que je n'ai pas encore à la fête. Je vous laisse donc pour aujourd'hui.
     
    Votre FE
     

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  • Quand le rideau tombe

    Ma chère amie,

     

    Il se donnait hier soir une petite représentation théâtrale chez l’une des relations de notre amie B. Comme elle ne souhaitait pas s’y rendre seule, je l’y ai très volontiers accompagnée. Nous avons passé une soirée fort amusante même si la pièce en elle-même ne présentait pas grand intérêt : texte très inégal, acteurs de second ordre, costumes rapiécés. Tout cela sentait un peu trop l’économie et la satire est tombée à plat.

    Quand on veut donner dans le clinquant, il faut y mettre les moyens. Je dois à la vérité de reconnaître quelques bonnes formules auxquelles nous avons ri de bon cœur même si Monsieur Molière, lui, les aurait sans doute rayées d’un trait de plume. Nous avons retrouvé là bas quelques amis avec lesquels nous sommes convenus de nous retrouver plus tard pour médianoche.

    B. toujours à l’affût des nouveaux talents, a souhaité convier l’auteur à cette petite soirée impromptue. Le pétillant était dans nos verres et point ailleurs tant ce jeune homme s’est montré terne dans sa mise et lent dans les réparties. Vous connaissez notre petite compagnie : les hommes y ont le verbe haut et les femmes, ma foi, ne s’en laissent pas conter. Notre jeune auteur en a été pour ses frais je crois. Il me paraît toujours risqué de juger une société sur l’image partielle qu’elle donne d’elle à un moment donné.

    Le théâtre n’est pas là où l’on pense qu’il est et la pièce qui se joue n’est pas toujours achevée au tombé du rideau.

    Votre FE

     

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  • La bonne année !

    Ma chère amie,

    Croyez-le, j’ai quitté avec joie décembre et ses agapes pour entrer sans élan dans janvier et son cortège de fâcheux qui viennent présenter des vœux de convenance. Mon hôtel ne désemplit pas et j’ai la plus grande peine à trouver le calme pour vous écrire. Du plus loin que remonte ma mémoire, je n’ai jamais goûté cette période de l’année et avec l’âge je supporte de moins en moins l’hypocrisie qui règne en ces heures. Souhaiter, avec la mine qu’il sied, une bonne santé à une vieille tante dont on attend le trépas comme le second avènement du Christ est un exercice périlleux et fort peu chrétien finalement. Et que dire de mon banquier pour lequel je formule les vœux d’une fortune qu’il fera grâce aux intérêts de mes dettes !

    Ah ! mon amie, à vous je peux bien le dire, je rêve parfois de quitter le corset de cette éducation policée pour dire à tous ces gens le fond de mes mauvaises pensées. A cette vieille tante, je dirais alors : "Mais mourez donc Madame, et que m’importe la manière, la chose sera encore trop douce à l’aune de tout ce que vous nous avez fait endurer enfants !" Quant à mon banquier, je lui dirais ceci : "Enrichissez-vous Monsieur, dépouillez-moi! Même pauvre, nue et sans atours, j'aurai plus de dignité que vous n'en aurez jamais avec tout votre or tant vous êtes méprisable !" Au lieu de cela me voici toute en révérences et courbettes, faisant mille grâces, servant mes meilleurs vins au financier et proposant les services de mon médecin à la vieille bique.

    Vous pouvez rire de moi mon amie, car je le mérite. Aussi, je recommande mon âme à vos prières, car les sentiments qui m’animent sont fort éloignés de ceux que prône notre Eglise. Imaginez un peu à quelle absurdité je suis contrainte : je vais devoir aggraver ma dette pour emprunter de quoi acheter quelques indulgences. C’est qu’il m’en faudra et des plénières encore pour me faire pardonner le mauvais esprit que je nourris contre mon banquier ! La corne d’abondance au service du tonneau des Danaïdes en quelque sorte ; le cocasse de la situation m’étouffe presque. Mais voilà que j’entends l’Abbé qui s’en vient ; je l’ai convié à souper pour causer de nos affaires. Je vous laisse et vous renouvelle tous mes vœux pour la nouvelle année.


    Votre infernale et toujours facétieuse FE

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