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Tableaux

  • Troisième tableau: les préparatifs

     

    Le déshabillé de soie glissa le long de son corps révélant sa nudité. Elle entra dans le bain sans attendre et, s’abandonnant à sa chaleur, elle ferma les yeux. Ses lèvres charnues esquissaient un petit sourire de contentement. Depuis l’enfance l’eau chaude était son refuge. Elle s’y purgeait de toutes les impuretés de la vie et dans la moiteur de sa salle de bain, tout se diluait toujours du plus petit tracas au plus lourd des secrets. A la lueur des bougies qu’elle avait allumées, son corps ferme prenait un teint mordoré et les ombres dansantes de la pièce venaient mourir dans un dernier jeu de lumière sur son épaule ronde. Au creux de sa gorge, sa croix en or, l’unique bijou que toujours elle portait, se soulevait doucement au rythme de sa respiration.

    Elle s’était endormie caressée par l’eau et bercée par le silence.

    Un courant d’air sournois la tira de sa torpeur soufflant les bougies au passage. Elle frissonna et sortit. Elle chercha un instant du regard la serviette qu’elle attrapa d’un mouvement leste. Tout en se frottant vigoureusement le corps, elle se dirigea vers sa chambre et s’assit à sa table de toilette. A ses lointaines origines italiennes elle devait ses cheveux bruns et à sa mère rousse leurs reflets auburn qui ne s’exprimaient qu’au soleil couchant. Elle avait au milieu du cou, un rien sur la droite, un grain de beauté dont un ami peintre lui avait dit un jour qu’à cet endroit précis c’était le grain même de la beauté. Elle en avait ri. Midi sonna au clocher de la paroisse et ce rappel du temps présent la tira de ce charmant souvenir.
    Elle enfila sa paire de bas mais laissa de côté le corset qu’elle ne supportait plus. Elle se glissa avec souplesse dans sa robe de crêpe noir sans manche et frangée des genoux aux mollets puis elle chaussa ses escarpins à hauts talons. Elle souligna son regard noir d’un trait de khôl et habilla ses longs cils d’un peu de rimmel. Elle hésita un instant entre son parfum lourd et capiteux et son eau de toilette fleurie. Elle choisit le premier dont elle se mit quelques gouttes derrière les oreilles et au creux des seins. Elle observa sans complaisance son reflet dans la psyché. D’un geste, elle remonta ses cheveux en chignon. Insatisfaite, elle les relâcha les laissant libres sur ses épaules. Mécontente encore, elle se rassit à sa coiffeuse interrogeant son miroir à trois faces. Son regard qui s’égarait dans la pièce accrocha la paire de ciseaux à papier posée sur le bureau. Elle se leva, les attrapa et sans plus réfléchir, coupa ses cheveux. Françoise Elisabeth secoua sa tête devenue légère et éclata d’un rire cristallin. Elle pouvait enfin se rendre à ce déjeuner. Elle était prête.

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  • Deuxième tableau : l'attente

    Elle arpentait son salon de long en large d'un pas rapide. Seuls les craquements sourds du parquet rompaient le silence de la pièce. Entre ses mains un mouchoir de fine baptiste malmené par des doigts fébriles finissait d’agoniser.
    S’arrêtant un instant à la fenêtre, elle écarta d’un geste brusque l’épaisse tenture de velours vert, puis la laissa retomber lourdement. L’horloge qui sonna les six heures la fit sursauter. Elle s’immobilisa de nouveau, poussa un bref soupir, puis reprit sa marche mécanique. Croisant son propre regard dans le miroir, elle se figea et scruta avec sévérité le reflet tourmenté qu’elle voyait. Le timide sourire qu’elle lui adressa fut aussitôt suivi d’un haussement d’épaule sans complaisance et la longue silhouette vêtue de rouge reprit sa course.
    La sensation d’étouffement qu’elle réprimait depuis le matin la submergea subitement. Elle ouvrit d’un geste sec la porte de la pièce qu’elle avait tenue close le jour durant, traversa l’antichambre sans un regard pour le valet qui s’y tenait et se dirigea d’un pas de plus en plus vif vers la grande porte d’entrée. Elle courait presque lorsqu’elle atteignit les marches du perron qu’elle dévala plus qu’elle ne le descendit.
    Le froid sec et piquant se jeta sur elle et telle une sangsue affamée aspira d’une traite toute la chaleur nerveuse qu’elle renfermait. Bientôt un frisson lui parcourut l’échine et elle se frotta les bras de ses mains déjà engourdies. Le souffle raccourci par sa fuite puis par sa lutte contre le froid, elle se contint, se forçant même à parcourir le plus lentement possible l’allée bordée de platanes. Parvenue au portail, elle grelottait sans retenue. D'un regard, embué par les morsures du froid, elle embrassa la large allée, les arbres nus et la maison au loin. Un miaulement la tira de sa rêverie contemplative. Elle attrapa l’animal. Son pelage dégageait une douce chaleur, elle y enfouit le visage comme pour aspirer toute l’énergie contenue dans cette petite boule de poils pleine de vie. D’un geste brusque et dans un feulement, le félin coupa court à l’étreinte et détala dans l’allée pour se perdre en un instant dans la confusion nocturne. Sortant de sa torpeur, Françoise-Elisabeth se mit à courir à son tour vers la maison. Dans l’entrée, posée sur une coupelle d’argent, une lettre était posée ; celle qu’elle avait tant attendue.

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  • Premier tableau : Au commencement…

    A la nuit tombée, elle quitta comme un automate la bergère dans laquelle elle était lovée, se dirigea vers la fenêtre et posa son front brûlant contre le carreau glacé.

     

    "Déjà une journée !" pensa t-elle dans un soupir. Une journée que son amie était partie, une journée sans dire un mot ou presque, à compter les heures et à masquer sa peine. Les semaines précédentes étaient passées dans un tourbillon. Il y avait tant à faire et à préparer. Ensemble, elles avaient choisi les malles du voyage et couru les ateliers pour être sûres que Charlotte emporterait toutes les robes à la dernière mode de Paris. Elles avaient fait une dernière promenade au Bois riant comme deux jeunes filles échappées de leur couvent, elles avaient assisté au dîner que B donnait en l’honneur de l’amie sur le départ, elles avaient échafaudé mille projets de retrouvailles, rendu toutes les visites de convenances, et puis le dernier matin était arrivé.

    C’était un de ces petits matins de novembre où des milliers de gouttelettes de brouillard tiennent en échec les timides avances faites au jour par un soleil en deuil des chaleurs passées. Un matin triste et froid où les arbres brandissent vers le ciel leurs branches dénudées, lançant à l’hiver le défi muet de leur renaissance prochaine. Ce temps lui plut, il était au diapason de son âme triste. Les sentiments ont parfois besoin de mise en scène et elle aurait vu une insulte des cieux dans un soleil trop franc. Elle s’était levée tôt et avait congédié sa femme de chambre trop empressée et bavarde. Personne ne devait la voir pleurer. Pas même son amie et surtout pas ses gens. Elle étouffa un dernier sanglot et descendit lentement le grand escalier. Charlotte l’attendait sur les marches du perron, les joues rougies par le froid, mais les yeux un peu trop brillants. Les deux amies se donnèrent une longue accolade sans échanger une parole et Charlotte monta dans la voiture. Elle fit à son amie la grâce de ne pas se retourner. L’équipage avait depuis longtemps quitté le paysage quand Françoise Elisabeth se décida à rentrer.

     

    Le contact avec le carreau glacé la fit tressauter. Elle remonta machinalement une mèche dans sa coiffe, chassa de sa main une invisible poussière sur sa robe et aspira une longue bouffée d’air. Elle se dirigea à pas lent vers son petit bureau face à la fenêtre, s’assit et prit sa plume.

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